FREDERIQUE LECOMTE - BELGIQUE © LDR
Bonsoir à tous, je m’appelle Frédérique Lecomte, je suis auteur dramatique et metteur en scène belge, je suis spécialisée pour faire du théâtre pour la résolution des conflits et la réconciliation est mon terrain.
C’est pas très compliqué de trouver des pays en guerre, mais le dernier sur lequel j’ai travaillé, c’était au Burundi. Le travail que vous allez voir c’est une vidéo de répétition d’une étape de travail d’un spectacle et vous allez voir seulement 55′ du début du spectacle. Les répétitions ont eu lieu dans mon jardin au Burundi.
Il faut que je vous explique le contexte parce que sinon, vous allez être perdus. Le Burundi est un pays des grands lacs d’Afrique de l’Est, tout près du Congo et du Rwanda, et le Burundi est un tout petit pays, petit comme la Belgique à peu près, qui est déchiré par une guerre qui dure depuis plus de 10 ans. Cette guerre oppose des Hutus majoritaires qui représentent 80% de la population et des Tutsis minoritaires qui représentent les 20 autres % de la population, même moins, et une tranche de la population qui s’appelle les Batwas, des pygmées.
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Ce spectacle s’est construit dans une période de guerre sur une durée de un an et demi. Pendant cette période, il y a eu plein de changements politiques, avec les accords d’Arusha. Il y avait des camps rebelles qui s’ouvraient et donc j’ai pu aller faire des ateliers de théâtre avec, comme on les appelait, les cantonnais. C’étaient des militaires qui, en principe, n’étaient pas armés mais c’était faux, ils étaient armés et étaient en attente de démobilisation. J’ai été aussi faire des ateliers de théâtre avec des déplacés, des Tutsis qui ont été chassés de leur terre, de leurs collines, et le gouvernement pour les protéger a été construire des camps de déplacés, des camps rudimentaires où on les a parkés, protégés, à moitié protégés car parfois les rebelles les attaquaient. Donc, il y a des déplacés Tutsis, des rebelles Hutus, et pour écrire ce spectacle j’ai été dans des prisons ou j’ai fait des ateliers de théâtre avec des prisonniers qui étaient des Hutus, des Tutsis et des Batwas, des hommes, des femmes, qui étaient accusés à différents moments de l’histoire de criminalité. C’est-à-dire, il y a des gens accusés pour des crimes commis en 72, dans ce cas-là c’était des Tutsis, et puis ceux de 93, plus jeunes, c’était des Hutus.
Pour écrire ce spectacle, j’ai été cherché des témoignages dans la population et le but c’était de faire un spectacle, non pas qui réconcilie parce que faut pas être fous non plus, mais en tout cas qui permettait aux uns de comprendre la souffrance des autres.
Tout le monde a perdu dans cette affaire, tout le monde a perdu dans des crimes innommables, la violence était extrême et très proche, les choses se faisaient avec des machettes, des bambous, on n’envoie pas une bombe comme ça, c’est le voisin qui allait tuer la voisine, c’est la mère qui tuait ses enfants parce qu’ils étaient à moitié Hutus Tutsis. Enfin, c’est vraiment dur, donc il s’agit pas de vouloir réconcilier mais de trouver des solutions. Simplement pour moi, il s’agit de pouvoir jouer ce spectacle devant toutes les parties du conflit, de pouvoir le jouer dans un camp de rebelles Hutus, de pouvoir le jouer dans un camp de déplacés Tutsis, de pouvoir le jouer en prison, de pouvoir le jouer à Bujumbura où sont la plupart des Tutsis, devant des intellectuels, devant des paysans.
Mais le spectacle est prévu pour être joué dans les collines. On arrive dans les collines, on joue du tambour, les tambours burundais ce sont des grands tambours, c’est très puissant, on alertait la population comme ça et les gens arrivaient dans un cercle qui mesure à peu près 10 mètres de diamètre, on accueillait entre 500 et 6000 spectateurs par représentation, je ne sais pas si vous voyez le bazar que ça fait 6000 personnes. En moyenne, c’était quand même 2000 spectateurs.
Le spectacle a été financé par une ONG belge qui s’appelle « justice et démocratie » et qui a deux volets : un appui aux associations judiciaires et un appui à la société civile. Et c’est dans ce cadre qu’ils ont demandé un metteur en scène pour renforcer la société civile, c’est là que j’interviens pour faire un spectacle, ouvrir des espaces démocratiques qui peuvent faire réfléchir les gens, qui peut aussi dire des choses qu’on a pas l’habitude de dire, ouvrir sa gueule fort pour que tout le monde puisse entendre ce qui s’est passé. C’est une sorte de témoignage ou de rituel pour que les gens puissent se reconnaître et qu’ils puissent se décloisonner, qu’ils puissent faire reculer les barrières ethniques, qu’ils puissent dissoudre peu à peu leurs différences ethniques, ça c’est le challenge, en principe ça marche. C’est 160 représentations, 180.000 spectateurs qui le voient et c’est financé par la Belgique, l’Union Européenne, les anglais, voilà.
Frédérique Lecomte