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Jean-Christophe Bailly est né à Paris en 1949. Depuis plus de trente ans (son premier livre, La légende dispersée, une anthologie du romantisme allemand, paraît en 1978), il a publié une vingtaine de livres qui, le roman mis à part, arpentent tous les champs de l’écriture : essais (philosophiques ou esthétiques), poésie, journaux, théâtre. Si sa démarche présente, en dépit ou au-delà de cette diversité, une très grande unité, c’est d’abord parce qu’elle prend sa source dans le désir ou la volonté du poème. Le poème est le mode le plus générique à partir duquel Jean-Christophe Bailly s’est tourné vers la peinture, l’architecture, la photographie ou la philosophie. Ecrire à la frontière des genres, conduire l’écriture au-delà des genres, sur le mode de la dissémination ou de « l’étoilement », pour reprendre un de ses titres, c’est faire l’expérience de l’extériorité la plus immédiate, revenir aux choses, aux étonnantes manifestations du spectacle profane, au règne de l’éphémère et du furtif, à cette « prose du monde » (Merleau-Ponty) dont Basse continue, long poème composé de soixante « chants » en prose coupée, restitue peut-être le plus justement la rumeur et le flux indistinct. Toucher à tout, explique Jean-Christophe Bailly, ce serait peut-être répondre à tout ce qui nous touche, et l’écrivain de se réclamer de la grande trouvaille du romantisme allemand, la théorie de la dispersion et de la communication universelles des signes, en citant Novalis : « Nous vivons dans un roman colossal, en grand et en petit. » La profusion du dehors est à déplier sans fin et encore, et il y a donc chez Bailly quelque chose qui ne tient pas en place, quelque chose d’utopique qui toujours s’en va, sur un fil de mélancolie, dans une quête infiniment renouvelée du sens et de ses échappées. Qu’il commente un texte de Baudelaire ou de Benjamin, s’interroge sur l’évolution de la forme architecturale, observe le silence des animaux, analyse l’oeuvre d’un peintre, étudie un passage de Plutarque ou jette un pont entre une photographie de Talbot et les images d’Hiroshima, il s’agit toujours d’une même volonté d’assumer le travail même de la littérature : maintenir le matériau dans son état d’ouverture maximale, sans enfermer le sens dans des mots magiques, des formules ou simplement des clichés, trouver de nouvelles conditions où la parole puisse se dire en consonance avec le monde dans lequel l’homme moderne, désormais orphelin de toute transcendance, est jeté. Comme s’il reconduisait l’expérience fondatrice de son adolescence, quand il décrivait à son père devenu soudainement aveugle le spectacle du dehors et ce que lui-même découvrait pour la première fois, Jean-Christophe Bailly nous prend par le bras en nous invitant à y regarder de plus près. Malgré leur fragilité ou leur faillite, les mots ont encore un pouvoir, un mince pouvoir : lucioles ou survivances capables d’émettre un clignotement, éclats ou appels intermittents, feux épars où se dépose la charge de signifiance de chaque instant, de chaque lieu.