Michel André et Florence Lloret, co-fondateurs du Théâtre La Cité et de la Biennale des écritures du réel, ont interviewé Robert Mac Liam Wilson lors de sa résidence d’écriture à La Marelle, Villa des projets d’auteurs à Marseille, avant son invitation lors de la première Biennale des écritures du réel en mars 2012.
Robert McLiam Wilson a 27 ans quand il écrit Les dépossédés. Plusieurs mois durant, l’auteur, accompagné du photographe Donovan Wylie, est allé à la rencontre des plus pauvres au sein de trois grandes cités du Royaume-Uni : Londres, Glasgow et Belfast. McLiam abandonne toute distance journalistique au profit d’une empathie émue, pudique et profonde pour ceux qu’il croise au fil de son enquête dans l’Angleterre ultra-libérale du gouvernement Thatcher : « Je me suis lancé dans l’aventure avec toute la confiance de la jeunesse, à grandes et puissantes enjambées, j’ai foncé droit dans le mur de mon ineptie et de mon incapacité à affronter un sujet beaucoup trop vaste pour moi, à décrire des individus dont l’existence était plus complexe que je ne pouvais le suggérer, ou parfois même le comprendre. »McLiam est né à Belfast dans un quartier ouvrier et catholique en 1964. Il a également écrit 3 romans de fiction : Ripley Bogle, La douleur de Manfred, et Eureka Street.
– Pourquoi avoir envie de revenir aujourd’hui à une écriture non romanesque ?
Je trouve que le métier de romancier est un peu pathétique, un peu enfantin.
Je suis prolétaire et pour moi le travail, c’est quelque chose de plus ou moins physique. On va au travail, on bosse, on rentre le soir fatigué et on dépense le salaire. C’est une vie assez simple.
Donc, déjà, bosser dans un bureau pour des gens comme moi, c’est un peu « frou frou ». Alors mentir professionnellement me semble enfantin.
C’est aussi parce qu’écrire des récits, des témoignages, c’est activer les autres muscles de l’écrivain. C’est pas du tout la même chose qu’écrire un roman. Il faut être humble face à la vérité, face aux gens surtout. Il faut les respecter. Il faut se dire, je suis censé représenter cette personne là et il faut que je m’applique. Ca fait du bien, C’est hyper dur, fatiguant, mais ça aide à respirer.
– Ton prochain travail ?
De plus en plus en Europe, il n’y a qu’un sujet, c’est le sujet du racisme, c’est le plus important. En Angleterre, ça n’a rien à voir avec la France. En Angleterre, on ne s’autorise pas à parler mal des étrangers. Le discours public est plus civilisé. C’est pas du tout le cas en France. J’ai entendu des choses incroyables. Je ne comprends pas la langue sur la race ici.
– Et ton voyage va te conduire à Marseille ?
Ici des gens m’ont dit qu’ils ne voulaient plus vivre à Marseille, parce qu’il y avait trop d’arabes. Ils l’ont dit ouvertement. Ca m’intéresse. Mais c’est surtout, parce que je connais rien de cette ville. J’arrive ici comme un enfant. Je parle la langue comme un enfant de 6 ans et cela provoque sur moi et sur les gens avec lesquels je parle, un effet assez spécial, parfois intéressant. Ils me voient me dépatouiller avec la langue et ils m’aident. C’est clair que je suis amateur. Je suis pas journaliste. Et les gens me font confiance.
– Tu te mets dans une situation d’amateur ?
Je suis amateur. J’ai des techniques de roman mais qui sont discutables. Je n’ai pas d’idée. Je crois que c’est assez utile d’arriver sur un sujet la tête vide. Si je fais le voyage pour essayer de comprendre, ça peut être intéressant. Si quelqu’un pense qu’il sait, qu’il a raison, et qu’il ne fait que constater, c’est un peu ennuyeux.
– Il y a des personnes qui travaillent sur le réel, mais qui ont toujours la nécessité de faire repasser leur langue devant.
De tous les gens que j’ai rencontrés, j’ai jamais changé un mot de ce qu’ils ont dit, parce que c’était pas la peine. C’était suffisamment fort. Un écrivain va toujours être tenté de rajouter, de colorier. Quand je dis le quartier était comme ci, comme ça, là c’est moi, l’écrivain.
– Les deux espaces doivent coexister ?
Oui, et moi personnellement je n’ai jamais été tenté de présenter les gens tel qu’ils n’étaient pas. Franchement j’avais trop peur de recevoir un coup de poing…
Extraits d’un entretien réalisé à La Marelle – Villa des projets d’auteurs en octobre 2011 par Michel André et Florence Lloret