Alain Damasio est un écrivain français de science-fiction et typoète français, spécialisé dans les dystopies politiques et les ouvrages d’anticipation. Il écrit de nombreuses nouvelles et romans, ainsi que des œuvres pour la radio, des scénarios de jeux vidéo, et adapte certains de ses textes pour la scène.
Son premier roman, La Zone du dehors (1999) s’intéresse aux sociétés de contrôle sous le modèle démocratique (inspiré des travaux de Michel Foucault et Gilles Deleuze) – Prix Européen Utopiales.
Son second roman, La Horde du Contrevent (2004) (roman accompagné d’une BOL – Bande Originale de Livre – composée par Arno Alyvan), est un véritable succès public – Grand Prix de l’Imaginaire 2006 dans la catégorie Roman.
Son dernier roman, Les Furtifs (2019), décrit la quête d’un père à la recherche de sa fille dans un univers dystopique.
Alain Damasio a trouvé dans l’écriture une forme de militantisme pour dénoncer la société d’aujourd’hui et tenter de la repenser. Ses romans et nouvelles sont des récits d’anticipation, imaginant des mondes futuristes et fantastiques. Amateur de néologismes, d’assonances et d’allitérations, cet auteur se distingue aussi par la grande musicalité de ses œuvres. Alain Damasio aime d’ailleurs mettre ses ouvrages en musique.
« Le vivant.
Le vivant n’est pas une propriété, un bien qu’on pourrait acquérir ou protéger. C’est un milieu. C’est un chant qui nous traverse, en lequel nous sommes immergés, fondus, ou électrisés. Si bien que s’il existe une éthique en tant qu’être humain, c’est d’être digne de ce don sublime d’être vivant. Et d’en incarner, d’en déployer autant que faire se peut les puissances. Qu’est-ce qu’une puissance ? Une puissance de vie ? C’est le volume de liens, de relations qu’un être est capable de tisser, et d’entrelacer sans qu’il s’effondre. Ou encore, c’est la gamme chromatique des affects dont nous sommes capables. Vivre revient alors à accroître notre capacité à être affecté. Donc notre spectre, notre amplitude à être touchés, changés, aimés. Contracter une sensation, contempler, habiter un instant ou un lieu. Ce sont des liens élus. A l’inverse, faire face à des stimulus et y répondre sans cesse pollue notre disponibilité. L’économie de l’attention ne nous affecte pas. Elle nous infecte. Elle encrasse ces filtres subtils sans lesquels il n’y a pas de discriminations seines entre les liens qui libèrent et ceux qui aliènent.
Nos puissances de vivre relèvent d’un art de la rencontre qui est déjà en soi une politique, celle de l’écoute et de l’accueil, de l’hospitalité au neuf qui surgit. C’est la capacité à se tenir debout dans l’ouvert. Dans ce qu’on pourrait baptiser le rouge ouvert. Un champ d’intensité vibratile et frémissant. Attentif et vigile.
Et puisque c’est la rencontre, le fait actif d’affecter et d’être affecté passionnément qui va nous hisser au vivant, il devient crucial d’aller à la rencontre. A la rencontre aussi bien d’un enfant, d’un groupe, d’une femme, que de choses plus étranges comme rencontrer une musique qui te trouble, un livre intranquille, un chat qui ne s’apprivoise pas, une falaise. Côtoyer un arbousier en novembre, épouser la logique d’une machine, rencontrer une lumière, la mer, un jeu vidéo, une heure de la journée, la neige. Faire terreau pour que liens vivent. Les liens sociaux, collectifs, et communautaires bien sûr, mais aussi amicaux et amoureux, filiaux ou familiaux. Puis au-delà et avec plus d’attention encore, les liens avec le dehors, le « pas-de-chez-nous », l’autre, soi. Avec l’étranger. D’où qu’il vienne. Et plus loin encore, loin de l’humain qui nous rassure, les liens avec la forêt, le maquis, la terre. Avec le végétal comme avec l’animal, les autres espèces et les autres formes de vie. Se composer avec. Les accepter. Nouer avec elles. S’emberlificoter.
Peut-être n’est-il qu’une seule révolte au fond. Contre les parties mortes en nous. Cette mort active dans nos perceptions saturées et nos pensées qu’on mécanise. Nos sensations éteintes. Être du vif. Relever du vif. Les furtifs portent en eux et nous portent à nous comme un cadeau caché dont le ruban est à défaire. Cette double révolution possible, celle des liens horizontaux à tisser sans cesse hors de nous, et celle des liens verticaux, à intensifier en nous, avec nos ascendances animales. Ce n’est pas l’un ou l’autre, l’un après l’autre. C’est tout ensemble une invit à insurrection collective et intime. Pour porter au point de fusion nos puissances et en offrir l’incandescence à ceux qu’on aime. C’est un alliage, c’est une alliance. Etre moins celui qui brûle et celle qui bruisse. Entrer par effraction dans le rouge ouvert, s’y tenir, fragilement, pouvoir entre dans la couleur. »
Extrait de Entrer dans la couleur, Alain Damasio